Documentaire : Le Chant des oubliés de Luc Decaster
Usine Semperit d’Argenteuil. Face au caoutchouc en fusion, des corps s’engagent entre les rouages des machines. Le couperet tombe : délocalisation. Une symphonie s’empare alors du récit : surgit la destruction des machines, des murs… et d’une communauté étonnante.
""On lâche rien"… Ils sont une poignée, trente, cinquante peut-être, pas plus… La musique de HK résonne fort pour le dernier tour de piste. Ils chantent, s’égosillent encore mais les visages sont marqués. Tout à la fois par le travail depuis des années dans cette usine de caoutchouc à Argenteuil, par la lutte qui s’épuise, par l’inquiétude des jours sans travail qui se profilent. Nous sommes au XXIe siècle, on se souvient quand les débuts du cinéma chantaient avec le début du XXe siècle l’invention industrielle, ces symphonies à la gloire des machines. On se souvient aussi quand le cinéma militant s’inventait pour participer à des luttes ouvrières dans les années 70, ces récits épiques à la gloire des hommes. Dans le vide de l’usine où traînent encore quelques ouvriers en costume de ville comme sur la place du village, de ces images du siècle précédent, il ne reste que celles que nos souvenirs convoquent à partir de ces quelques paroles, quelques gestes du travail, quelques machines encore en marche, comme en suspension, que le cinéaste nous offre avec parcimonie, retenue, délicatesse. Pour Luc Decaster, qui en cinéaste engagé a filmé les ouvriers en lutte pendant plus de vingt ans, il s’agit de continuer à tourner, de continuer à témoigner. Sans nostalgie excessive. La trace du travail et le vide qui gagne, et puis peu à peu le désordre, l’abandon, le post-industriel et la disparition du paysage par destruction à coup de pelles hydro-électriques, pinces à béton et à ferraille. Se déploie ainsi une autre symphonie, en accord avec notre siècle, avant que tout soit effacé et qu’on ait tout oublié de la classe ouvrière."
(Catherine Bizern - Cinéma du réel)
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